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«La Stratégie Addictions offre une chance immense de mettre en place des collaborations au-delà du cadre étroit de l’aide en matière de dépendance.»

Entretien avec Astrid Wüthrich sur la Stratégie nationale Addictions. La politique en matière d’addiction est un champ dynamique confronté à des défis sans cesse nouveaux, comme les modèles de comportement et les tendances de consommation. Dans le cadre de l’agenda «Santé2020», l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) a élaboré, en collaboration avec ses partenaires, la Stratégie nationale Addictions. Astrid Wüthrich, cheffe du projet auprès de l’OFSP, revient sur les objectifs et la place de la stratégie.

On observe une certaine diversification de l’addiction ces 20 dernières années. On parle désormais d’addiction à Internet, aux achats, aux médias sociaux, etc. Le problème de l’addiction s’est-il amplifié dans notre société?

Il est difficile de dire si le problème s’est véritablement amplifié ou s’il s’est plutôt diversifié. Diversifié dans la mesure où les nouvelles techniques, comme les médias en ligne, s’accompagnent de risques que nous ne connaissions pas encore (p. ex., en lien avec le jeu en ligne), dans la mesure aussi où de nombreuses nouvelles substances sont apparues dans le domaine des drogues illégales et dans la mesure, enfin, où beaucoup de choses jadis accessibles uniquement entre 9 heures et 18.30 heures le sont désormais 24 heures sur 24.  

Pourquoi avons-nous besoin d’une Stratégie nationale Addictions? Où est le problème?

D’une manière générale, nous avons la chance de disposer d’outils adaptés pour les problèmes que nous voulons aborder. Le système suisse d’aide en matière de dépendance est en effet très bien implanté, étoffé et de grande qualité. La Stratégie nationale Addictions doit, d’une part, préserver ce système tout en le préparant à évoluer: Il s’agit donc de trouver des réponses quant à des nouvelles formes d’addictions. Outre, il n’existe aujourd’hui guère de méthodes thérapeutiques ou de prévention qui se concentrent sur des substances isolées. Actuellement, les approches sont davantage orientées sur le problème. Par exemple, on s’enquiert de savoir si les personnes souffrant de problèmes d’addiction ont encore du travail, si elles peuvent être traitées en ambulatoire ou si elles souffrent d’autres maladies, souvent psychiques. Puis on décide de la meilleure intervention, c'est-à-dire de l’accompagnement et du traitement qui conviennent, d’un éventuel sevrage ou, plutôt, d’une consommation contrôlée, etc.  

D’autre part, la stratégie doit nous permettre d’aborder l’importance des coopérations de manière accrue et ciblée, par exemple en coordonnant davantage les prestations d’ordre plutôt médical et celles d’ordre plutôt psychosocial. Nous parlons ici non seulement de collaboration entre spécialistes de deux domaines différents, mais aussi de la manière dont les prestations sont rémunérées puisque les bases de financement ne sont pas les mêmes.

Nous voulons aussi garantir et étendre les coopérations au-delà du domaine de l’aide en matière de dépendance. Je pense par exemple à la collaboration entre les acteurs de la santé publique et ceux de l’ordre public. Pour des personnes dépendantes incarcérées, dans des locaux de consommation mais aussi pour la société en général, il est essentiel d’accorder les activités de ces deux domaines. A mes yeux, la Stratégie Addictions offre une chance immense d’élargir les coopérations au-delà du cadre de l’aide en matière de dépendance. Par exemple, de nombreuses personnes sont dirigée vers le système d’aide par la justice, elles touchent l’aide sociale, l’AI ou le chômage, ou elles sont en conflit avec les ordres publics. La Stratégie Addictions repose sciemment sur une base large pour que naissent de nouvelles coopérations interdisciplinaires et indépendantes de substances et qu’il soit ainsi possible d’améliorer durablement la santé par le biais d’autres secteurs que par le seul domaine de la santé.        

La stratégie porte aussi sur la consommation à risque. Les personnes occasionnellement ivres ou les seniors qui prennent chaque jour leur petit verre sont-ils estampillés comme dépendants?

Non. Le plaisir n’est pas contesté du tout. La recherche de l’ivresse fait partie de nous comme la sobriété. Le petit verre a sa place, tout comme une bière après le travail ou le vin lors d’une fête. La situation devient problématique lorsque des personnes risquent causer des dommages à elles-mêmes ou à d’autres en raison de leur consommation. Nous faisons sciemment la différence entre plusieurs formes de consommation et de comportement à risque (voir encadré). Un comportement inadapté à la situation, comme la conduite en état d’ébriété, la consommation excessive de substances psychoactives pendant la grossesse ou la pratique de jeux d’argent alors que l’on est endetté, causent non seulement des dommages pour la personne concernée, mais aussi pour des tiers. Lorsque quelqu’un boit de l’alcool sur une durée prolongée, consomme régulièrement du cannabis ou ne trouve plus de détente que dans les jeux en ligne, cela peut avoir des conséquences directes négatives pour sa santé et une dépendance peut se développer avec le temps. La Stratégie Addictions a pour objectif principal d’empêcher cela, et c’est pourquoi nous insistons aussi sur l’importance du dépistage précoce de personnes qui risquent de développer une dépendance.    

Dans quels domaines la stratégie veut-elle déployer ses effets, quels sont ses objectifs principaux?

La Stratégie nationale Addictions veut avant tout prévenir les conséquences négatives pour l’individu et pour la société dans son ensemble et, si possible, les éviter. L’approche choisie n’est toutefois pas celle des interdictions tous azimuts, mais celle de l’apprentissage qui doit permettre aux individus de se comporter face à des risques potentiels et de prendre leur responsabilité envers eux-mêmes et envers autrui. Tous les jours, nous avons la preuve que cela est la bonne méthode. La grande majorité de la population maîtrise sa consommation et son comportement. 9 personnes sur 10 boivent de l’alcool et la plupart le font avec modération. Le nombre de fumeurs diminue régulièrement et nous constatons aussi que de nombreuses personnes ont fait l’expérience du cannabis sans avoir développé de problèmes graves. Mais ce n’est pas facile pour tout le monde. Certains, en raison de leur prédisposition ou de leurs conditions de vie, sont plus vulnérables. A nous de leur apporter un soutien précoce avant l’apparition de problèmes. Pour résumer, la Stratégie nationale Addictions poursuit les objectifs suivants: renforcer les individus et leurs ressources, mais aussi leur apporter aide et assistance en créant des conditions cadres en faveur de la santé et en appliquant le cadre légal qui existe déjà. La stratégie veut garantir un système d’aide en matière d’addiction solidaire, efficace et de qualité élevée.      

La Suisse a développé, avec le modèle des quatre piliers, une politique de drogue éprouvée et très remarquée à l’international. Quid du «modèle du cube» auquel la Commission fédérale pour les questions liées aux drogues a ajouté la dimension du type de consommation?

La Stratégie Addictions s’inscrit très largement dans ce modèle. Les quatre piliers correspondent aux quatre champs d’action de la future stratégie. Pour moi, ce modèle du cube est absolument génial, car il montre que personne ne peut résoudre seul le problème de l’addiction. Les quatre piliers sont indissociables et les responsables doivent collaborer. C’est précisément parce que l’addiction est un problème complexe que nous avons besoin du pragmatisme exprimé par ce modèle. En d’autres termes, tous les acteurs impliqués doivent interpréter leur mission de manière à pouvoir collaborer avec d’autres. Par exemple, encourager la collaboration entre l’aide en matière d’addiction et la police correspond exactement à la mise en œuvre de cette idée.      

La nouvelle stratégie aura elle aussi besoin du soutien de nombreux acteurs pour être mise en œuvre. Quels partenaires sont-ils invités à participer?

Tous ceux qui soutiennent les objectifs et l’orientation de la Stratégie nationale Addictions et qui souhaitent apporter une contribution aujourd’hui déjà ou plus tard. Bien entendu, l’OFSP ne peut pas développer et mettre en œuvre des mesures avec 200 partenaires. C’est pourquoi la Stratégie Addictions offre un cadre d’orientation et d’action général qui permette à la Confédération, aux cantons et à d’autres acteurs de développer en partenariat des solutions sans perdre l’ensemble de vue, et à la mettre en œuvre de manière cohérente. Partant de ce principe, nous avons impliqué plusieurs divisions de l’OFSP dans le développement de la Stratégie Addictions. Et nous avons constitué un groupe d’experts qui regroupe les principaux acteurs de la politique en matière de dépendances et nos partenaires actuels de la mise en œuvre. Enfin, notre démarche participative se reflète aussi dans l’ audition publique que nous menons en mai et juin. Il nous tient très à cœur que la Stratégie nationale Addictions ne soit pas uniquement la stratégie de l’OFSP mais aussi celle de nos partenaires actuels et, nous l’espérons, aussi celle d’autres acteurs.     

Quels sont les liens avec d’autres stratégies de la Confédération, par exemple dans le domaine de la santé mentale et avec la Stratégie nationale Prévention des maladies non transmissibles (stratégie MNT)?

La stratégie MNT présente des interfaces importantes avec la Stratégie nationale Addictions, en particulier en matière de prévention et de promotion de la santé. Les deux stratégies doivent être complémentaires: pendant que la stratégie MNT se concentre sur la prévention primaire, la stratégie addictions met l’accent sur le dépistage précoce et sur la prise en charge. Les addictions et la santé mentale sont aussi étroitement liées. La dépendance est un diagnostic psychiatrique, et la psychiatrie joue un rôle important dans la prise en charge de personnes souffrant d’une dépendance. Inversement, de nombreuses personnes suivant un traitement psychiatrique ont des problèmes d’addiction, à des degrés différents.   Ces interfaces feront l’objet d’une grande attention lors de la mise en œuvre de la Stratégie nationale Addictions. Au niveau stratégique, nous nous rejoignons dans les trois domaines avec pour but de protéger la santé des individus et de leur permettre d’accéder au traitement nécessaire en cas de maladie.  

Progression d’un mode (comportement) de consommation à risque réduit jusqu’à la dépendance

L’expression comportement à risque réduit décrit les formes de consommation et de comportements qui ne sont nocives ni pour la santé ni pour l’entourage et qui sont tolérées, voire partiellement souhaitées, par la société.

L’expression comportement à risque désigne une consommation de substances ou un comportement pouvant causer des problèmes physiques, psychiques ou sociaux à la personne concernée ou à son entourage. On distingue trois schémas de comportement potentiellement nocifs:

•       Le comportement excessif: il s’agit de la répétition excessive et souvent épisodique d’une pratique potentiellement nocive ou de la consommation de grandes quantités de substances psychoactives dans un laps de temps court (p. ex. « biture expresse » ou pratique excessive des jeux de hasard).

•       Le comportement chronique: il s’agit d’une consommation ou d’une pratique inadéquates qui reviennent régulièrement et qui finissent par causer des troubles par effet de cumul (p. ex., absorption de médicaments sans ordonnance pendant une période prolongées ou une consommation chronique d’alcool).

•       Le comportement inadapté à la situation: il s’agit d’une consommation de substances dans des situations où la personne concernée ou des tiers peuvent subir des atteintes (p. ex., conduite en état d’ébriété, consommation pendant la grossesse de substances psychoactives nocives pour le fœtus ou pratique de jeux d’argent alors que l’on est déjà endetté).

La dépendance a des répercussions sur la santé physique et psychique de la personne, sur son entourage au sens large et sur son intégration sociale. Son apparition est due à des prédispositions individuelles ainsi qu’à des facteurs environnementaux (histoire personnelle, situation professionnelle et financières, place culturelle de la consommation de substances, facilité d’accès, etc.). C’est un phénomène observé dans toutes les catégories d’âge, indépendamment du contexte culturel. Il se caractérise par des comportements incontrôlables, dans lesquels la personne persiste malgré leurs conséquences négatives graves pour sa santé et sa vie sociale.

En neuroscience, on définit la dépendance comme un processus dans lequel des facteurs à la fois biologiques, psychiques et sociaux entrent en jeu et où le cerveau s’adapte biologiquement au comportement de consommation. Du point de vue médical, la dépendance est une maladie. Elle est décrite dans la Classification internationale des maladies de l’OMS (CIM-10) à laquelle les professionnels se réfèrent en Europe. La CIM-10 formule comme suit les symptômes typiques d’une dépendance: un désir irrépressible de consommer ou de s’adonner à une pratique, une capacité réduite ou inexistence à contrôler son comportement, un syndrome de manque, une tolérance croissante (il faut augmenter les doses pour obtenir le même effet), l’abandon des autres centres d’intérêts et la poursuite du comportement malgré ses conséquences nocives connues.  

 

 

 

Liens

Contact

Astrid Wüthrich, Abteilung Nationale Präventionsprogramme, astrid.wuethrich@bag.admin.ch

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